Toulouse : Mars 2024
Grâce à son activité et à sa ténacité, Mathilde amène les personnes dont elle s’occupe à se surpasser pour leur propre bien-être.
Nous l'avons rencontré pour évoquer son parcours professionnel commencé en tant que sportive de haut niveau
Ma mère était professeur d’EPS et c’est tout naturellement, par pur mimétisme, que j’ai été attirée vers cette activité. Vers 5 ou 6 ans, j’évoluais déjà dans une équipe de basket, me hissant jusqu’au niveau régional, soit le plus élevé à cet âge là.
A 10 ans, suite à des douleurs violentes aux genoux, je suis diagnostiquée Osgood Schlatter. Cette pathologie de croissance me vaut une interdiction totale de toute pratique sportive jusqu’à mes 17/18 ans…
Au collège j’entre dans la section sportive rugby de mon collège suites aux sollicitations des mes enseignants EPS. Les terrains gazonnés étant plus mous que ceux bétonnés du basket, c’est plus facile, bien moins douloureux et je tombe amoureuse de ce sport.
Malgré les douleurs, je ne peux m’empêcher de jouer, jusqu’à ce qu’un ami de mes parents m’explique qu’il monte une équipe de rugby féminin et aimerait assez me voir participer à cette aventure. Je progresse vite et lors des championnat de France UNSS (Union Nationale du Sport Scolaire), je suis capitaine de l’équipe. Nous finissons sixième.
De 15 à 18 ans, je suis sélectionnée Midi-Pyrénées chaque année. Lors de ma dernière année de cadette, je pars à Blagnac jouer dans une nouvelle équipe un peu plus conséquente afin de continuer à progresser. Cette fois-ci, nous perdons en demi-finale, mais je suis repérée par le coach de l’équipe première de Blagnac qui souhaite me garder. Le club me propose alors de payer mes transports sachant que je devais déménager à Tarbes pour faire mes études en Staps. J’accepte des étoiles plein les yeux et fait des A/R trois soirs par semaine.
Avec tous ces déplacements tardifs, une fatigue s’installe mais je continue à vivre avec le club et profite de nos voyages en train lors des déplacements du club (Rouen, Montpelier, Lyon…) pour étudier, car je suis étudiante en Staps (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives) à Tarbes.
Je suis repérée par les coachs de l’équipe de France et réussi les tests pour intégrer l’équipe de France Féminine des moins de 20 ans. Un match est prévu le 24 février…
Je suis titulaire !
Je vis mon rêve et tout en étant aux anges je pars au Centre National du Rugby à Marcoussi, une autre planète…
Du haut de mes 18 ans, je me sens comme une star du sport. Je mets mes pas dans ceux de mes idoles, je vis là où l’équipe de France s’entraîne… Chaque minute passée sur les terrains de ce centre d’entrainement, c’est du pur bonheur !
Le jour du match tant attendu, je joue les 10 premières minutes avant de me blesser aux croisés. Le kiné sachant que je vis le rêve de ma vie, me propose de jouer encore un peu en strappant mon genou, mais au bout de 10 min supplémentaires, je sors du terrain en pleurs….
Larmes pour la douleur, mais surtout contre moi-même, pour ce que je considère comme étant un échec… Une rupture des ligaments croisés, c’est environ un an de rééducation, dont quatre semaines au CERS (Centre Européen de Rééducation du Sportif) à Capbreton !
A peine 6 mois plus tard, le staff me propose de revenir ayant besoin de moi, mais je dois refuser la mort dans l’âme, ne voulant pas briser définitivement ma carrière avec le risque d’une seconde blessure. Au bout d’un an, je fais enfin mon retour en club, dans l’équipe 2 (l’équipe de réserve) sachant qu’il me faut refaire mes preuves… Mais je suis très très motivée !
Et là, un virus vient modifier vos plans !
Comme beaucoup de personnes, la période de la COVID 19 est une véritable remise en question. J’étais toujours et encore frustrée de ne pas avoir eu le temps de récupérer mon niveau d’avant la blessure et en même temps, j’ai découvert les week ends sans pression, les retrouvailles familiales… Un véritable paradoxe, la vie de sportif de haut niveau que j’adorais, n’étant pas toujours compatible avec celle de famille…
Après cette longue pause, je décide d’arrêter le rugby !
Malgré la certitude de mon choix, tout s’écroule… A cette époque, je vivais, je dormais, je mangeais rugby… Mes amis étaient tous issus de ce milieu !
J’entre dans une phase de mini dépression et me retrouve seule à réorganiser ma vie. J’ai aussi cessé la pratique des sports collectifs pour me tourner vers de l’activité physique douce, ayant toujours enfoui au plus profond de mon être ce besoin physiologique de pratiquer du sport. N’importe lequel !
Cela m’a aidée à m’en sortir, car il faut savoir se servir de ses faiblesses pour avancer !
Aujourd’hui, cela me permet parfois de trouver les mots justes face aux problématiques de certains patients que je côtoie.
Justement, comment êtes-vous arrivée en unité psychiatrique ?
Petit retour en arrière…
Pour pouvoir être proche de mon club de rugby féminin de Blagnac, j’ai été admise à Staps Toulouse dans la section Activité Physique Adaptée (APA). A mon arrivée dans cette section, je n’étais pas du tout sensibilisée aux métiers du handicap.
Au fur et à mesure des cours, je découvre tout un panel de pathologies liées au handicap et me sens plus attirée par les troubles psychiques et comportementaux. J’effectue alors mon premier stage dans un Institut Médico-Educatif (IME) qui a pour mission d’accueillir des enfants ou des adolescents handicapés ayant une déficience intellectuelle. Puis, pour un autre stage, je me suis tournée vers des jeunes en Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique (ITEP). Là, les patients présentaient des troubles comportementaux accompagnés de difficultés psychologiques…
Peu après, je suis partie, toujours en stage, pour une année dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Lavaur dans le Tarn. Pendant cette période, j’ai établi un lien entre les troubles comportementaux et les troubles psychiques que je découvrais réellement. Il me fallait donc continuer à creuser un peu dans cette direction. En Master j’ai fait une alternance dans une association mettant en place une activité physique pour les personnes passées par une Unité Psychiatrique et en réinsertion dans la société. C’était passionnant, car l’activité physique devenait réellement une thérapie produite en appoint des traitements médicamenteux. Les effets de son efficacité jouaient sur l’anxiété, la dépression, l’estime de soi, les schémas corporels… Ce n’était pas un cachet et il n’y avait aucun effet secondaire, excepté quelques courbatures.
Tout cela me parlait, et faisait écho à ma philosophie de vie. En appréhendant cette nouvelle façon d’agir, j’avais enfin trouvé ma voie !
Aujourd’hui, qu’est ce qui vous fais avancer ?
Chaque prise en charge d’un patient est un véritable défi !
Dans la structure hospitalière où j’officie, il y a 2 équipes.
L’une assez classique, avec des infirmiers aux sports travaillant dans une salle réservée aux patients intégrés dans un programme bien défini. Les malades ont la capacité de se mobiliser seuls pour répondre à cette activité séquencée de manière très précise. Match de basket, muscu…
Dans l’autre team, nous sommes deux enseignantes APA. Nous nous occupons des malades étant dans l’incapacité de se mobiliser seuls. Généralement, ce sont des patients dépressifs ou schizophrènes, très envahis et sédentaires. Ils ne sortent jamais de leur chambre, ont souvent une capuche sur la tête pour s’isoler et se protéger de tout ce qui peut provenir de l’extérieur, qu’ils associent à une agression. Au passage, il y a un gros imaginaire collectif concernant l’agressivité de ces patients en crise. En réalité, ils sont suicidaires, en souffrance, incompris, en mal être permanent et donc dangereux d’abord pour eux-mêmes. A leur contact, je ne me suis jamais sentie en danger !
De plus, nous possédons des systèmes électroniques d’alerte sophistiqués et même si je suis dans le parc, je sais qu’en cas de problèmes des collègues seront là en moins de trente secondes. Ces conditions de sécurité peuvent paraître extrêmes, mais elle nous permettent de nous consacrer entièrement au patient, et rien qu’au patient !
Créer de la confiance !
En tout premier lieu, je dois me faire accepter par la personne. Je reviens systématiquement à la charge, au minimum une fois par semaine… Il faut parfois plusieurs mois avant de trouver le déclic. J'essaie l’humour, la douceur tout en abordant de nombreuses thématiques pour tenter de relever l’amorce d’un interêt. Après il faut tirer le fil et ne rien lâcher, discuter, discuter, discuter !
Puis quand la confiance s’est enfin établie, je propose de marcher un petit peu afin d’être plus à l’aise pour papoter… Rien que ça, si le patient l’accepte, c’est une immense victoire !
Une fois ce lien fragile tissé, il faut orienter les discussions vers l’activité physique, car toute personne a forcément un passif avec l’exercice physique et je dois intégrer une histoire remontant parfois au temps des écoles. C’est un travail de longue haleine ou il faut être dans la bienveillance et l’empathie au quotidien.
A chacun son Everest !
Il faut aussi accepter et comprendre qu’un patient souhaite rester dormir dans sa chambre à cause de sa pathologie ou de ses traitements qui peuvent parfois être assez lourds… Mais même en cas de refus, je reviens toujours à la charge, sachant que peut-être si j’étais à leur place je ferais pareil !
Il y a peu de temps, j’ai marché dans le parc avec une jeune femme. Cela n’a duré qu’un tout petit quart d’heure, mais il y a 11 mois, cette patiente était incapable de nous parler et il était impossible d’entrer dans sa chambre sans qu’elle ne s’y oppose, enchaînée par ses propres angoisses. Peu à peu, nous nous sommes apprivoisées avant de nous éloigner peu à peu de son cocon si protecteur. Ce fut très compliqué pour elle !
A ce jour, nous n’avons réussie à nous promener qu’une bonne quinzaine de minutes, mais ce fut la plus belle des récompenses. Elle a vaincu et surmontés ses peurs et ses angoisses !
Il y a aussi plein d’autres petites victoires nous offrant leur lot d’émotion quotidienne. Cela part du simple sourire, faiblement esquissé, jusqu’aux remerciements sincères d’un patient qui se sent beaucoup mieux grâce à la pratique régulière d'une activité physique. Dans ces petits moments d’exceptions, Il est gratifiant de savoir que notre action a contribué à leur rétablissement. Mais attention, ce n’est pas et ne sera jamais notre réussite…
Un patient qui s’en sort c’est dû à sa propre réussite, et ça c’est énorme !
Avez-vous fait des statistiques officielles sur votre taux de réussite ?
En fait c’est très dur à calculer car quand les patients quittent l’hôpital, nous n’avons pas toujours un bon suivi. Alors nous avons pris comme base, le temps passé en notre compagnie, en considérant qu’au delà de 5 ou 6 séances honorées, il est considéré comme adhérant à l’APA, même s’il n’est pas toujours en capacité de pratiquer seul. Pour le moment, cela marche très fort et je n’ai pas les chiffres en tête, mais je crois me rappeler que cela dépasse les 75% !
Parfois, certains patients cessent de pratiquer lorsqu'ils se sentent moins bien, puis reviennent au bout de trois/quatre mois lorsqu’ils se sentent mieux… Finalement s’adonner à l’activité physique leur est devenu indispensable !
L’Activité Physique Adaptée peut-elle être considérée comme une thérapie ?
L’APA n’est pas une thérapie en elle-même, mais elle appartient au trépied qui sert de support aux soins. Le premier appui, c’est le traitement médicamenteux, le second le côté psychologique et le troisième l’activité physique. Si on coupe un des trois pieds du tabouret, tout s’effondre !
Parfois nous avons d’anciens sportifs de haut niveau qui pour de multiples raisons ont vu leur vie partir en miettes… Je peux comprendre qu’ils aient une appétence pour les exercices physiques, mais le véritable challenge, c’est d’y amener un patient qui n’a jamais pratiqué !
Aujourd’hui, en dehors de votre métier, quels sports pratiquez-vous ?
J’ai fait de l’APPN (Activité Physique de Pleine Nature). C’est une activité comportant de multiples épreuves comme des courses d’orientation, du vélo, de l’escalade… c’est assez intense et cela peut durer plusieurs jours…
J’ai essayé le King ball pour retrouver un sport collectif mais malgré un ballon d’un diamètre de 1,22m , je n’y trouvais pas assez de challenge…
Du coup cette année, pour me retrouver sans contraintes horaires et sans coéquipiers, je fais ma propre activité physique : Escalade, natation, course à pied, vélo, paddle, aquagym, yoga, plongée……
Comme j’ai de bonnes capacités, si un sport me tente, je l’essaie. Maintenant, je pratique le sport plaisir pour le jeu et j’y ajoute des minis challenges. Après avoir validé récemment un semi-marathon j’ai mis le cap sur le marathon de Toulouse…
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Je m’occupe de 12 jeunes enfants/ados atteints, entre autre, de Troubles du Spectre Autistique (TSA) que je prends en charge chaque semaine dans le cadre d’une structure de natation. Il faut intégrer ces petits nageurs au profil atypique parmi les groupes inscrits, sans perturber les cours donnés par les MNS. L’objectif est d’arriver à leur faire faire le même exercice que leurs camarades tout en ayant une pédagogie adaptée à leurs compétences.
Mais de par son humilité naturelle, Mathilde minimise son rôle dans cette activité. Des Maîtres Nageurs Sauveteurs du club nous ont raconté combien l’engagement physique de la jeune femme était important. « Contrairement à nous, Mathilde passe beaucoup de temps dans l’eau prête à repérer un changement de comportement chez l’un de ses élèves. Dans ce cas là, elle peu l’isoler, lui parler et l’encourager à repartir une fois rassuré… »
« Sans elle, aucun de ces enfants Autistes n’aurait jamais connus les joies et les sensations procurées par ce sport. Elle fait preuve d’une grande patience et lorsque je vois le chemin parcouru par certains, c’est impressionnant. Pour rien au monde, ses petits protégés ne manqueraient leur séance… »
« Parfois j’ai pu lire de la fierté et de la gratitude dans les yeux d’un enfant qui accepte de reprendre un exercice, cela m’a donné des frissons… C’est une action formidable ! Il ne faut pas oublier que sans elle, nous n’aurions pas assez de temps à leur consacrer car notre priorité en tant que MMS, c’est le groupe. »
C’est un projet à long terme qui est né au sein du club de natation de l’ASPTT Toulouse. C’est ce club qui le porte et le réalise techniquement et humainement en partenariat avec Mathilde. En décembre 2023, dans le cadre du Trophées des Sports Toulousain organisé par la Mairie de Toulouse, ce club a obtenu un prix dans la catégorie : Sensibilisation au handicap pour le projet « Solidarité Autisme by ASPTT ».
Une belle récompense pour celle qui passe la majeure partie de son temps à tenter d’inclure des personnes considérées comme étant hors circuits dans notre société où tout est aseptisé et normalisé. Elle réalise cet exploit, tout en restant humblement au service de sa passion, l’activité physique !
Un véritable travail de précision et d’orfèvre pour cette enseignante en APA qui considère que tout doit être accessible à tout le monde !
Mathilde, en véritable humaniste, mène son existence en surfant entre les vicissitudes de ses patients et la relève permanente de nouveaux défis. A sa façon, rien n’est impossible, et quelle que soit notre personnalité ou notre physique, elle part du principe que nous devrions tous avoir la même chance !
En conclusion
Mathilde, en tant qu’ancienne sportive de haut niveau, est habituée à performer tout en repoussant ses limites corporelles ou mentales…
Elle amène les patients dont elle s’occupe à se challenger et à se surpasser pour leur bien-être. Armée de son regard de couleur claire et profond, animée d’une empathie naturelle et d’un humanisme hors du commun, elle suscite les confidences en étant à l’écoute des autres. Très vive d’esprit, elle sait rebondir aux moindres maux…
Cette jeune femme obstinée, telle une enquêtrice chevronnée, relève chaque indice lui permettant d’améliorer la prise en charge de l’activité physique de patients atteints de troubles psychiques lourds. Son passé d’athlète lui permet d’appréhender n’importe quelle activité physique et sa connaissance des différents règlements lui permet d’instaurer ou de ré-installer des règles de vie auprès de ceux qui ont perdu tout repère…
A voir cette jeune femme, bien dans sa peau et heureuse dans l’exercice de son travail, il est difficile d’imaginer l’engagement physique et moral dont elle doit faire preuve au quotidien pour tisser des liens avec des personnes étant en rupture totale avec notre société. Mais le sport lui permet d’évacuer toute forme de stress et lui permet d’être épanouie dans sa vie privée. C’est un élément essentiel car comme le répète Mathilde : « Pour soigner, il faut d’abord être bien soi-même ! »
Le mantra de Mathilde : Faire de l’activité physique coûte que coûte, que l’on soit pris en charge par une structure hospitalière ou pas. « Toute personne peut trouver une routine d’activité physique qui lui convienne. C’est pas du sport, c’est une activité quotidienne de 15 - 20 min qui fait le plus grand bien au corps et à l’esprit.
C’est un bon élément pour une vie stable et sereine ! »
Comme le prônait le poète Juvénal dès le premier siècle de notre ère : Mens sana in corpore sano !
Vingt siècle plus tard, nous vivons un grand retour vers le naturel. Dans les périodes stressantes et angoissantes dont nous sommes l’objet aujourd’hui, il ne faut pas négliger cet adage pouvant nous aider à retrouver un certain équilibre sans l’utilisation d’une posologie médicamenteuse.
Cela ne coûte rien, et pourtant cela devrait être remboursé par la sécurité sociale !
Philippe Vignon
Avril 2024
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