Toulouse : Mars 2024
À l’origine, la Mosaïque a été inventée dans le but de recouvrir le sol en terre battue dans des pièces humides des maisons. Elle était réalisée à partir de galets non taillés dont les couleurs naturelles étaient utilisées pour créer divers motifs. Dans le monde romain, ce moyen d’expression entre dans les villas et dans les temples, mais aussi sur les fontaines extérieures. Ces emblemas embellissent tout en permettant de raconter l’Histoire à la plèbe ne sachant pas lire. Au fil des siècles, la mosaïque est devenue peu à peu une mode, bien loin de son utilité pratique. A partir de ce moment-là, la Mosaïque s’est élevée au rang des Arts.
L’art du portrait ancien : Des Byzantins aux Egyptiens
Sur le chevalet, l’ébauche d’un portrait directement inspiré de la Rome Antique représente une femme riche, parée de bijoux, à la coiffure sophistiquée et aux habits somptueux. Elle a vécu en 79 avant notre ère… âgée de plus de 2 000 ans, il émane d’elle une féminité assumée, rehaussée d’un regard noir exprimant avec fermeté, son statut social. Patricia Eck, Artiste Mosaïste Toulousaine, s’applique méticuleusement sur son menton arrondi faisant surgir du néant, l’ovale du visage, ombres et collier d’or pur incrusté de diamants et de perles noires.
Derrière l’artiste, un véritable capharnaüm de bocaux où se côtoient pinceaux, outils divers et brosses. Les contenants de verre laissent deviner des éclats de marbre, de cailloux, de briques, du carrelage, de la pâte de verre… Un véritable bazar multicolore lui permettant de s’approvisionner selon ses besoins. Sur l’étagère du dessous, des colorants, de la peinture, de la cire, du ciment, de la chaux… Là-bas, des rouleaux de papiers sont mêlés aux coupons de tissu… Un véritable bric-à-brac, très ordonné malgré les apparences, qui n’est pas sans rappeler les étals de brocanteurs. Sur la gauche la palette de l’Artiste !
Un petit contenant empli d’une bonne centaine de fragments de pâte de verre. La taille de la plus grosse pièce ne dépasse pas quelques millimètres. Une nuée d’éclats brillants, aux tons ocres, rouges, noirs, dorés composent les nuances du futur tableau.
L’Artiste choisit et taille avec soin chaque tesselle, avant de la positionner précautionneusement sur la zone de travail. Il faut utiliser des pinces ou la marteline pour tailler les éclats. Ce dernier outil datant de l’ère Romaine, est composé d’un taillant, lame d’acier implantée dans un billot et d’une massette de 750 g, en forme de demi-lune aux bords acérés. Il faut positionner la tesselle sur le taillant avant de laisser choir en douceur la marteline à l’endroit prévu. « Il faut des années pour maîtriser la manipulation de cet outil… Certains n’y arrivent jamais ! » Déclare Patricia en souriant.
La méthode n’a pas changé depuis des lustres…
Il règne dans cette pièce comme un parfum d’atelier de restauration d’Art avec des oeuvres accrochées çà et là. Diptyques, esquisses, natures mortes, paysages, portraits… Dans un coin, trône une interprétation de l’une des peintures de Soulage, toutes en nuances de noir, les tesselles disposées en long afin de recréer les célèbres coups de pinceaux donnant du volume à l’oeuvre. Une interprétation réaliste et très fidèle.
Tout au long de notre entretien, Patricia continue d’avancer sur le tableau, choisissant et taillant avec soin chacune des tesselles ornant le portrait.
Un parcours atypique pour notre plus grand bonheur
Enfant, cette artiste en herbe est passionnée par le dessin et s’amuse à reproduire les dessins de Noël, crèche, anges, étoiles… Un univers coloré et bigarré. Elle passe tous ses mercredis dans un atelier de dessin d’art pour enfant et y apprend les techniques picturales : crayons, craie, pastel, fusains, encre de Chine… Elle aime tout, s’éclate et apprécie de plus en plus cette façon de s’exprimer.
Un jour à Rennes, elle découvre « Les Mosaïques de la Vilaine », un atelier fondée par les frères Odorico. Patricia est éblouie par cette autre approche du dessin. Les couleurs, le relief, la mise en oeuvre est si différente et le résultat si proche de ce qu’elle s’amuse à dessiner.
En 1990, mariée et mère de deux enfants elle s’installe à Toulouse. A cette époque, c’est l’engouement pour la pâte à sel et la jeune femme curieuse de tout, découvre l’art du modelage avec les mains en créant ses tableaux quasiment en 3D. « Il y avait du relief et de la texture, donc une façon nouvelle d’aborder la toile ». Un peu, comme le faisait les frères Odorico…
Devant son succès, Patrick Oudin un artiste toulousain, lui propose alors de le rejoindre dans son atelier de mosaïque pour y ouvrir une section Pâte à sel. Puis avant de partir vivre en Australie, Patrick lui demande de reprendre cet atelier de mosaïque « Emergence des Arts ».
La transmission, le secret des grands-maîtres Mosaïstes
Pour rester fidèle à sa promesse, Patricia autodidacte, s’inscrit dans de nombreux stages chez des maîtres mosaïstes, en France, en Angleterre et en Italie pour mieux appréhender cette pratique.
« Grâce aux grands-maîtres italiens rencontrés lors de ces cessions, j’ai appris à oeuvrer comme les anciens en acquérant différents savoirs faire me permettant d’aller toujours plus en avant. La mosaïque, c’est une quête éternelle de savoir faire et c’est un puzzle où tu crées tes propres pièces ».
A ses débuts, Patricia produit beaucoup d’oeuvres contemporaines, figuratives ou abstraites, jouant sur les couleurs, les formes et les matières. « Dans le non-figuratif, il est assez facile de dévier du dessin original car, c’est le domaine de l’interprétation individuelle. La taille des tesselles est moins précise, il suffit de conserver l’harmonie des formes et des couleurs.»
Pendant cette période, l’artiste est prolifique et crée ses propres oeuvres ou des interprétations : paysages, objets, sculptures…
Depuis peu, elle s’initie à l’art du portrait ancien. C’est beaucoup plus fin et très précis car, l’andamento, véritable squelette de l’oeuvre future, est élaboré dès la genèse du projet. Ce dessin complexe, permettra d’orienter les tesselles pour reconstituer le volume, les ombres, la lumière. Créer l’andamento implique des considérations esthétiques et pratiques pour s'assurer que la mosaïque aura un aspect cohérent et homogène.
« A chaque fois, c’est un véritable défi ! Il faut être très rigoureux pour rendre vivant un regard ou une expression. »
Pour Patricia, la dernière oeuvre terminée est toujours la plus belle… Grâce à Internet, véritable source d’inspiration, elle découvre de nombreuses reproductions des portraits de l’ère Romaine ou Egyptienne et telle une archéologue passionnée, elle se met au défi de reconstruire ces visages perdus.
La mosaïque, un Art d’expression ancestral résolument moderne
L’avenir artistique de cette artiste est incertain et dépendra des nouvelles techniques dont elle va se nourrir au cours des prochains stages. Elle prévoit d’apprendre l’art de la copie ou encore de travailler avec des miroirs. « Je suis comme une plume et dans l’avenir, j’irais là où me pousse le vent…. Le vent de l’inspiration ! »
Dans cet Art, la transmission est vitale et Patricia perpétue la tradition, en considérant que les techniques de Mosaïque ne lui appartiennent pas. Elle n’est qu’un relais qui se doit de rétrocéder son mode d’expression.« Ce n’est pas de la patience qu’il faut, c’est de la passion… Quand t’es passionné t’as de la patience ! » Ne cesse-t-elle de répéter à ses élèves. A ses yeux, faire de la mosaïque relève plus du loisir que du travail. « Mais attention, ce n’est pas un loisir créatif, c’est un art, un art mineur malheureusement ! »
Dans l’antiquité, les nobles Romains faisaient réaliser leur portrait sur le sol de leur villa. Les gens marchaient donc dessus !
Hélas, ce piétinement a fait perdre toute sa noblesse à cet art délicat et subtil.
Le plaisir, c’est d’explorer les nombreuses facettes
Patricia possède de multiples cordes à son arc qui font l’essence même de la richesse de sa production. Dans son jardin des oeuvres originales et surprenantes démontrent que la retranscription des émotions de Patricia ne connaît aucune limite. La Mosaïque est partout et s’accorde admirablement aux différents supports qu’elle lui offre : béton, fer, bois…
L’hiver dernier, elle comble même un petit bout de trottoir devant chez une amie. Les retours sont positifs, car au final, les gens adorent découvrir l’art au coin de la rue.
Nul ne doute que la soif d’apprendre est insatiable chez Patricia Eck. Cette artiste généreuse progresse grâce au plaisir… Le plaisir de découvrir l’accomplissement des autres artistes, le plaisir d’apprendre afin d’embrasser une facette inexplorée de son art, et enfin le plaisir impérieux de partager !
Au final, cet art n’est bridé que par la raison de celui qui l’exerce. Et Patricia ajoute en riant :
« En plus, c’est très philosophique, car il s’agit d’apprendre à casser pour reconstruire ! »
Philippe Vignon
Contact : Patricia Eck
Mail : emergencedesarts@free.fr
Instagram : eck2986
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